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BLOG DE L'ADOLESCENCE
20 juillet 2009

TOUJOURS OU JAMAIS

Drissia est une adolescente anorexique. Un jour, elle se fait belle et pose devant l'objectif du photographe Marc Pataut. Quelques heures plus tard, elle s'inflige quatre entailles au rasoir sur le visage. Cette histoire et le portrait figurent dans Toujours ou jamais. Comme Drissia, ce livre, qui marquera, distille le brûlant et le glacial. Il émeut ou fait pleurer. Il anéantit, donne de la force. Les sentiments sont multiples. Il y a autant de textes douloureux à lire que de photos douces de corps adolescents à regarder. Comme si les images étaient là pour soigner les mots. Marc Pataut est un artiste qui, entre 2003 et 2008, s'est rendu à vingt-deux reprises à Limoges, dans un centre lié à l'hôpital Esquirol, pour travailler avec des adolescents atteints de maladies psychiques graves, dont une majorité de filles. Ils ont parlé, il leur a donné des appareils photo, il les a photographiés. En cinq ans, quarante adolescents ont produit plus de 9 000 images. Elles étaient accrochées au mur, puis commentées. Cette aventure est restituée dans ce livre à la mise en page sensible et audacieuse. Il s'ouvre avec 70 pages de portraits d'adolescents, sans un seul mot de texte, pas même le titre du livre. On perçoit que les visages en gros plan, contemplatifs et en noir et blanc, ont été captés par Marc Pataut. Et que les instantanés en couleurs et qui bougent sont des autoportraits de jeunes. Cette formidable galerie de regards, qui permet à des corps d'exister, est suivie d'un long texte sous forme de journal, qui décrit ce qui s'est passé entre les adolescents et l'artiste. D'autres textes suivent - entre psychiatrie et art - avant que le livre ne se referme avec 60 pages de photos en couleurs qui confirment le riche dialogue Pataut-ados. "PENSE À CE QUE TU FAIS" De nombreuses expériences, depuis vingt ans, assignent à la photographie un rôle d'ambulance, en confiant des appareils (souvent jetables) à des enfants malades, des exclus, des détenus, des chômeurs, des Africains, etc. Cette intervention à Limoges est exceptionnelle par sa durée et par la personnalité de l'artiste. Cela fait trente ans que Marc Pataut travaille "à deux". Les textes et les images donnent la mesure de son implication, à la fois totale et retenue. "Pense à ce que tu fais" est sa formule rituelle lorsqu'il donne une pellicule. Il impose l'argentique, qui demande un effort, plus que le numérique. Il dit à chaque jeune de commencer par un autoportrait pour signer sa pellicule. Il bouscule les jeunes qui ne font rien sans sa présence : "Vous ne pensez pas à moi quand je ne suis pas là, moi je pense tout le temps à vous." Et puis il accroche les images au mur, afin de valoriser les auteurs, les prises de vue, et de sortir les images du cadre privé. "Je fais intrusion massive, avec mon corps exagéré", dit Marc Pataut, qui est gros. On sent qu'il veut en découdre, qu'il est presque soignant. "Il y a là un subtil et formidable jeu entre un gros chat et des souris menues (...). A mon avis, elles l'ont bouffé plus qu'il ne les a bouffées", résume le psychiatre Maurice Corcos dans un texte formidable. Il y a des moments très durs : personne ne vient à une séance ; un malade a voulu s'étrangler avec un tuyau de douche, un autre s'est cassé le bras contre un mur ; Mathilde ne pèse plus que 30 kg... Mais il y a aussi des moments de grâce : une sortie où Pataut enfouit son visage dans la terre, devant des filles ; la lettre et les photos que Morgane lui envoie par La Poste ; Judith qui lui confie sa passion du violon et des hamsters ; Morgane, toujours, qui rêve de rencontrer l'auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad. A quoi bon cette énergie ? L'art ne soigne rien, ce que confirme Pataut : "Ce que les enfants gagnent à ces rencontres, ça ne m'appartient pas, je ne veux pas le savoir, je ne le saurai jamais." Il sait que lui s'en va, alors que les malades restent avec leur douleur. Ce travail génère des émotions, mais aussi des formes, une poésie. Il y a de grandes images dans ce livre. Et de grandes questions, qui surgissent au fil des pages : celles de l'auteur, du beau, de la propriété des photos, de la commande, de la sélection, du droit à l'image des adolescents et des soignants. Marc Pataut : "Est-ce qu'il y a un droit à l'image mentale ?" Il y a encore Jenifer, charmeuse, qui demande à Marc Pataut de lui faire un book, parce que "ça peut aider à (sa) guérison". Désemparé, le photographe se tourne vers le personnel : "Avec Jenifer, je ne sais pas quoi faire." Réponse : "C'est pareil pour nous." TOUJOURS OU JAMAIS de Marc Pataut. Textes collectifs. Éd. Panamamusées, non paginé, 39 €.
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