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BLOG DE L'ADOLESCENCE
10 septembre 2009

ADOLESCENCE SCARIFIEE - X. POMMEREAU

 

Les pratiques de scarifications, qui consistent en des incisions délibérément infligées sur le corps, sont en augmentation chez les adolescents, constatent les spécialistes. Xavier Pommereau, psychiatre et responsable du Pôle aquitain de l'adolescent au CHU de Bordeaux, analyse ce phénomène.

En quoi consistent les pratiques de scarifications et quel public touchent-elles ?

 

Ces conduites concernent des adolescents entre 13 et 16 ans, des filles pubères dans les deux tiers des cas. Elles se scarifient avec de petits objets banals, compas scolaire, trombones, fragments de lame de rasoir jetable, morceaux de verre... Ces éraflures sont localisées au niveau de la face interne du poignet, sur l'avant-bras, sur le dos de la main. En général, il s'agit d'estafilades très superficielles qui laissent des cicatrices plus ou moins durables. Mais ce marquage cutané peut se faire aussi par abrasion avec, par exemple, un morceau de sucre que le jeune frotte sur la peau, ou par brûlure.

Peut-on évaluer l'ampleur du phénomène ?

Parmi les 15 % d'adolescents qui vont mal, on a vu apparaître ces dernières années trois nouvelles conduites de rupture que sont les scarifications, la boulimie et l'ivresse alcoolique. Avant, ces conduites de rupture se traduisaient davantage par des comportements antisociaux, des fugues, des clashs relationnels. Mais dans une société, où l'apparence, la marque, règnent en maîtres, les traces tangibles semblent plus pertinentes, aux yeux des jeunes, pour exprimer leur souffrance.

Les résultats de l'enquête que nous avons effectuée, en 2001, avec Marie Choquet, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), auprès des jeunes de 11 à 19 ans qui consultaient les infirmières scolaires donnent quelques indications. A la question "Vous est-il arrivé de vous faire mal (couper, brûler) volontairement ?", 11,3 % des filles et 6,6 % des garçons reconnaissaient l'avoir fait au moins une fois au cours des douze derniers mois. Ces pourcentages ne sont pas révélateurs de la population générale des adolescents, car les jeunes qui viennent consulter à l'infirmerie sont plus souvent en situation de mal-être, mais ils sont néanmoins préoccupants.

Ces comportements sont-ils forcément inquiétants ? Ne relèvent-ils pas, dans certains cas, d'un phénomène passager de l'adolescence ?

Il ne faut pas banaliser ces conduites. Il ne s'agit pas de simples décharges comportementales pour se soulager. Il faut les considérer comme des signaux d'alarme qui peuvent annoncer un risque suicidaire. L'adolescent ordinaire, qui n'est pas un artiste professionnel et qui prétend s'affilier à ces mouvements, est, pour nous, un jeune en souffrance.

Dans l'enquête réalisée en milieu scolaire avec Marie Choquet, parmi les élèves déclarant avoir déjà effectué une tentative de suicide, près des trois quarts signalaient des antécédents de coupure ou de brûlure cutanée volontaire, contre 16 % chez les autres.

Quelle peut être l'attitude des parents ?

Si votre fille commence à se scarifier et se prétend gothico-satanique, il ne faut surtout pas banaliser et se taire en se disant que ça passera. Les parents ont intérêt à dire leur inquiétude à leur enfant, à voir si c'est en lien avec d'autres comportements de rupture, consommation d'alcool, boulimie, clashs à répétition. Si c'est le cas, il faudra probablement procéder à une évaluation psychologique de cette souffrance. Mais interdire aux jeunes de se scarifier ne sert qu'à rassurer les parents en niant la souffrance de leur enfant. Il faut essayer, au contraire, de lui faire prendre conscience que cette conduite cache un malaise plus profond.

Comment les adolescents expliquent-ils leurs gestes ? Que signifient-ils ?

Les explications des jeunes que nous recevons sont très stéréotypées et succinctes. Ils disent avoir pété les plombs, s'être fait du mal pour ne pas exploser, pour se soulager, évacuer la tension, se punir d'une crise de boulimie...

Les scarifications jouent sur le "montré-caché". Le jeune le fait en secret, mais fait tout pour le montrer. C'est une manière de dire aux proches "Vous êtes trop proches". Le sujet se sent l'objet de trop d'attention et souffre d'un problème de distance affective avec ses parents. C'est son ressenti, mais il ne faut pas en conclure que ses parents seraient trop possessifs. C'est l'exploration psychologique qui va nous éclairer.

Les scarifications peuvent-elles être les prémices d'une pathologie mentale ?

Les scarifications que j'ai évoquées et que nous qualifions de typiques ne traduisent pas forcément une pathologie mentale, mais une souffrance, un mal-être. En revanche, les scarifications atypiques, beaucoup plus rares, qui se traduisent par des lésions cutanées non plus sur les poignets et les avant-bras mais sur le cou, le thorax, le ventre, voire, au pire, sur le visage, nécessitent une évaluation psychologique approfondie et peuvent cacher une pathologie mentale grave type schizophrénie.


 

L'Adolescence scarifiée, de Xavier Pommereau, Michaël Brun et Jean-Philippe Moutte, éd. L'Harmattan, 127 p., 13 euros.

 

Propos recueillis par Martine Laronche

 

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