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BLOG DE L'ADOLESCENCE
17 novembre 2009

PENSIONS EN AUSTRALIE

De son arrivée à l'institution pour filles de Parramatta, dans la banlieue de Sydney, Bonney Djuric a gardé un souvenir encore vif. D'abord, le bâtiment d'allure gothique, puis le bruit de clés dans la serrure. "On m'a escortée jusqu'à la porte. Je suis rentrée, j'ai regardé autour de moi, et j'ai compris que j'étais enfermée", se souvient-t-elle, quarante ans plus tard. Comme des milliers d'autres enfants australiens, Bonney Djuric fut victime de mauvais traitements dans ces institutions pour enfants pauvres ou abandonnés, une page honteuse dans l'histoire du pays.

En 1970, la jeune fille a 14 ans. Issue d'une famille modeste, elle se lève de bonne heure pour rejoindre son travail, jusqu'à ce qu'un matin plusieurs garçons du voisinage l'attaquent et la violent. Bonney porte alors plainte. "J'ai compris que c'était une justice d'hommes : les garçons ont été innocentés. J'ai commencé à aller mal." L'adolescente fugue, avant d'être retrouvée par la police et condamnée à un an de maison de redressement, à Parramatta.

Aujourd'hui, dans sa petite maison de Summer Hill, à l'ouest de Sydney, Bonney consacre ses journées à recueillir les témoignages des autres filles de l'institution au travers de l'association qu'elle a fondée, les Parra girls. "Les gens mélangent les faits, avec le temps il faut prendre des notes, être rigoureux", observe-t-elle. Dans ses manuscrits, Bonney décrit les particularités des châtiments, l'enfermement. "Il y avait sept appels par jour. L'appel du matin, dans la cour, était le plus odieux. Lorsqu'une fille avait souillé ses draps, par exemple durant ses menstruations, elle était appelée et obligée de rester là, debout à côté des draps tachés, en public."

Dans ce système, tout est scrupuleusement répertorié par des gardiens goguenards, souvent des hommes, jusqu'au nombre de feuilles de papier toilette et de serviettes hygiéniques. En guise d'école, les filles sont cantonnées à la lessive ou au nettoyage des sols. "C'était une politique d'humiliation perpétuelle, notre corps ne nous appartenait plus", raconte Bonney.

Contrairement à Bonney, nombreux sont ceux qui ont passé toute leur enfance dans ces endroits gérés par l'Etat, comme à Parramatta, ou par les Eglises chrétiennes australiennes. Parmi eux, les bébés de filles-mères considérées comme immorales, les gamins retirés de force à des familles estimées trop pauvres pour les élever, et ceux laissés par leurs parents, le temps parfois de se retourner en cas de crise. "Il n'y avait pas de subventions pour les familles à cette époque. Alors lorsque ma mère s'est retrouvée avec trois enfants, sans mon père, elle a dû nous laisser dans une institution. J'y suis restée jusqu'à mes 21 ans", explique Joanna Penglase, qui a fondé une association d'anciennes victimes, Care Leavers Australia Network (CLAN).

Lorsque Pamella Vernon, petite dame blonde de 65 ans, témoigne, sa voix vibre d'indignation. Sa mère meurt en couches alors qu'elle a 5 ans. Son père, dépressif, est interné dans un asile pour quelques mois. Elle est alors placée dans une mission méthodiste à Sydney, avec sa soeur aînée, Yvonne, son petit frère, et ses frères jumeaux âgés de quelques jours.

Alors que les deux bébés sont adoptés, débute, pour le reste de la fratrie, une enfance digne d'un roman à la Dickens. "Les enfants sans famille devenaient des cibles. Lorsqu'ils avaient des parents qui venaient les voir, la direction rendait des comptes", analyse Pamella. Son père, une fois sorti de l'hôpital, était pourtant allé chercher les petits. "Cela s'est très mal passé. On lui a dit que nous avions été adoptés, et interdit de jamais revenir."

Pendant dix ans, les enfants courbent l'échine, et doivent faire semblant de ne pas se reconnaître."C'est surtout Yvonne qui a souffert. Dès 8 ans, elle était battue comme plâtre par le directeur, parce qu'elle osait affirmer que nous étions ses frères et soeurs. Plus tard, elle a été victime d'abus sexuels : il lui donnait des cadeaux", se souvient-elle.

Pamella a aussi été abusée. "Les hommes qui venaient travailler à la mission profitaient de nous. Ils étaient engagés par le superintendant", affirme-t-elle. A 15 ans, elle est placée comme domestique dans une famille proche de la mission méthodiste. "Nous étions des esclaves pour ces gens", conclut-elle.

Dans le silence, les "Australiens oubliés" - comme ils se sont ensuite nommés - ont appris à vivre comme si de rien n'était. Mais la vie de famille était devenue impossible. Durant son enfance,Frank Golding n'a quasiment jamais connu que l'institution où il fut placé de 2 à 15 ans, avec ses frères. Barbu, l'allure d'un professeur à la retraite - il est devenu éducateur pour enfants en difficulté -, Frank explique avoir mis des années à comprendre ce qui lui était arrivé.

A 15 ans, il fut autorisé à retourner dans sa famille. "Je n'ai appris qu'à 50 ans que je pouvais consulter mon dossier. J'ai alors découvert que mes parents avaient supplié pour qu'on leur rende leurs garçons. Cela, je l'ignorais totalement. J'ai pensé toutes ces années qu'ils avaient voulu se débarrasser de nous. Et eux, ils étaient trop honteux pour en parler", regrette-t-il.

Pour les enfants envoyés de Grande-Bretagne ou de Malte, les "migrant children" - il y en aurait eu entre 6 000 et 30 000 -, la situation était pire encore, loin de parents qu'ils croyaient parfois morts. Les gamins, déracinés, imaginaient sans doute à leur arrivée une vie de chevauchées et d'animaux exotiques. La réalité était autrement plus féroce. La plupart devinrent de petits esclaves, maltraités de façon régulière.

Pendant ce temps, les Australiens fermaient les yeux. A Parramatta, dès 1961, les médias avaient pourtant rapporté des cas de sévices. "Une ancienne employée affirme avoir vu un officier frapper une fille, donner sauvagement des coups de pied à une autre... Deux adolescentes enceintes traînées par les cheveux sur le béton, devant tout le monde", écrit ainsi le Daily Telegraph du 3 mars 1961. Les autorités viennent parfois voir ce qui se passe, mais ne s'attardent pas. "Ils n'étaient pas dupes, les abus étaient systématiques, mais pour eux nous n'étions que des "white trash" (déchets blancs), s'indigne Pamella. "Pour ceux qui avaient des familles, le traitement fut correct. Les autres ont énormément souffert : ces institutions attiraient des employés sadiques, qui n'auraient jamais pu s'occuper d'enfants ailleurs."

Sans surprise, un grand nombre de ces enfants ont ensuite connu une vie adulte misérable."Beaucoup sont tombés dans la drogue, se sont suicidés", commente Pamella. D'autres disent aussi avoir bataillé, une fois devenus parents, pour savoir comment se comporter en l'absence de tout modèle. Lundi 16 novembre, le gouvernement australien présentera des excuses pour les peines infligées. Lorsqu'ils l'ont appris, les Australiens oubliés ont été soulagés, mais pas seulement. "Ma soeur, mon frère ont voulu toute leur vie qu'on reconnaisse leurs maux. Mais ils ne sont plus là pour y assister", déplore Pamella. Les excuses longuement attendues arrivent trop tard, pour des milliers d'entre eux.

Marie-Morgane Le Moël

 

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