Didier Sanz

25/01/2010 | le figaro

Plutôt violentes, les nouvelles héroïnes de jeux vidéo. Et si la cruauté virtuelle reflétait le malaise réel des filles d'aujourd'hui ?

Rubi, l'héroïne de Wet , n'a plus rien à envier à ses homologues masculins.

Humour noir et violence gratuite, combats sanglants et massacres en tout genre… Les personnages féminins de jeux vidéo n'ont plus rien à envier à leurs homologues masculins. Loin des gentilles mimiques de Lara Croft, les titres récents comme Wet ou Bayonetta mettent en scène des héroïnes aussi sexy que sulfureuses. Et délibérément cruelles. Reflet des filles de notre époque ou astuce marketing pour adolescents en mal d'érotisme ? «Certains garçons aiment s'incarner dans un personnage féminin, observe le psychologue Michael Stora, auteur de plusieurs ouvrages sur l'impact des jeux vidéo. Ils agissent comme des marionnettistes qui manipulent un personnage. Mais qui manipule qui quand ont voit Bayonetta nous lancer un clin d'œil ou un bisou après un combat ?»

Femme fatale du XXIe siècle, Bayonetta est censée incarner les «femmes qui se battent aujourd'hui pour leur avenir», selon Sega. Dans un monde où s'affrontent les forces des ténèbres et les hordes célestes, elle dégaine ses doubles pistolets contre des légions d'anges… Look vaguement gothique et humour subversif, Bayonetta est aussi en quête de son identité perdue. Un thème qui séduit particulièrement les adolescents, poursuit le psychologue. «C'est idéal pour les filles inhibées ou qui éprouvent un sentiment de culpabilité. Bayonetta a beau s'interroger sur son identité, elle continue d'avancer. Elle ose, elle stimule ses pulsions agressives. Dans la vie réelle, ce comportement permet de s'opposer à son patron ou de tenir tête à son compagnon.»

Qu'importe le scénario, d'ailleurs. Ce sont les scènes d'action et les combats qui font l'intérêt du jeu. Aidée de ses pouvoirs magiques, Bayonetta saute et s'envole, marche sur les murs et multiplie les acrobaties. Sa chevelure se transforme en dragon ou en démon pour venir à bout de l'adversaire. Elle emploie indifféremment le fouet, le bazooka ou le sabre. Ou plusieurs armes à la fois. Et elle se montre particulièrement sadique. Elle coupe en deux ses ennemis, les écrase sous des roues à pointes, leur botte les fesses pour finir par les décapiter, leur fait exploser les tripes dans un bain de sang… Pour le producteur du jeu Hideki Kamiya, «il est important que la mise à mort soit gratifiante pour le joueur».

Bazooka et guillotine

Les femmes d'action dans les jeux vidéo n'ont plus rien à voir avec ces personnages féminins secondaires, tantôt victimes à sauver, tantôt faire-valoir du héros. En quelques années, on les a vues prendre plus d'importance dans les jeux d'aventures comme Runaway, Syberia ou Alone in the Dark. Puis devenir un véritable phénomène sous les traits de Lara Croft dans le jeu Tomb Raider. Une aventurière musclée et sexy aux prises avec des pièges mortels et des créatures surnaturelles. Propulsé en tête des ventes de jeu, Tomb Raider a connu plusieurs suites à succès (plus de 3 millions d'exemplaires pour le dernier titre). Ce qui a naturellement réveillé la concurrence. Des jeux comme Street Fighter, Dead or Alive, Soul Calibur, Final Fantasy, Blood Rayne ou Bullet Witch ont marqué une étape avec leurs personnages féminins. Guerrières ou sorcières, chasseuses de vampires ou de démons, elles sont expertes en arts martiaux, en maniement d'armes et en acrobaties en toutes sortes. Et fatalement érotiques, mais sans franchir la limite. Pour ne pas nuire à l'action, d'abord. Et pour échapper à la censure, qui marginaliserait le jeu.

Ce qui compte, c'est que le personnage soit bien campé. Comme Rayne (dans le jeu Blood Rayne), mi-humaine mi-vampire, aussi aguichante que sanguinaire. Ou Nariko, l'héroïne de Heavenly Sword. Mettez-lui une épée entre les mains et elle vous expédie ad patres les plus endurcis des ennemis. Voyez aussi Nina Williams dans Tekken. Tueuse à gage, spécialiste des armes à feu et du kung-fu, elle rêve d'éliminer sa sœur et n'hésite pas à éradiquer des groupes de mercenaires. Quant à la belle Scarlett, héroïne du récent Venetica, elle trucide à coups d'épée les monstres des enfers et les brigands de Venise.

Oubliée, la blanche héroïne parée de valeurs et de vertus. Dans la nouvelle génération de jeux d'action, l'alibi de la gentille contre les méchants a disparu. L'héroïne tire sur tout ce qui bouge, s'adonne à l'alcool, donne des coups en dessous de la ceinture et extermine ses ennemis dans un bain de sang. Rubi, l'héroïne de Wet, apprécie particulièrement le whisky après avoir trucidé ses adversaires dans des ruelles glauques. Un peu comme Uma Thurman dans Kill Bill, film dont s'inspire clairement ce jeu dans la mise en scène des combats et dans l'habillage graphique. Rubi manie aussi bien le sabre que les doubles mitrailleuses. Elle esquive les coups par des pirouettes, plonge sur ses ennemis du sommet d'un immeuble et s'aide des murs pour gagner en vitesse.

«Ces héroïnes illustrent une évolution de la libération sexuelle des femmes, suggère Michael Stora : elles peuvent faire les mêmes bêtises que les hommes. Comme elles, les adolescentes d'aujourd'hui s'interrogent sur le bien et sur le mal, et n'ont plus honte de changer l'image qu'on attend d'elles. Elles tirent sur le prince charmant quand leur mère l'attend désespérément sur Meetic. » Une recette qui plaît, puisque ces jeux vidéo se classent d'emblée parmi les dix meilleures ventes.

HEROINES DE JEU VIDEO

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