LE MONDE DES LIVRES | 22.07.10 |

Les adolescentes ne rêvent pas toutes de maquillages et de garçons, et certainement pas Symone Wates, 14 ans, que l'on appellera plutôt par son diminutif : Sym. Comme son père et son oncle, elle a contracté depuis l'enfance le virus des explorations polaires, de la glace et du froid.

L'enthousiasme de la jeune fille est même rafraîchissant, dans tous les sens du terme, quand, après la mort mystérieuse de son père, son oncle Victor déroute un voyage d'agrément à Paris pour filer vers l'Antarctique. Avec lui et avec le lecteur, elle se lance sans réfléchir à la poursuite d'une vieille légende, celle du "trou de Symmes" par lequel on accéderait à des mondes souterrains, à la manière d'Axel et Otto Lidenbrock dans Voyage au centre de la Terre(1864), de Jules Verne. Chez Geraldine McCaughrean, cependant, l'illusion est aussi dangereuse que nécessaire, et ses aventures dans le Grand Blanc sont effectivement plus ténébreuses qu'il n'y paraît.

Née en 1951, la romancière britannique, auteur de plus de 120 livres, récompensée à de multiples reprises au Royaume-Uni (prix Whitbread en 1987, 1994 et 2005, dans la catégorie jeunesse), aux Etats-Unis et en Allemagne, excelle dans le changement de rythme, jouant d'une langue souple et poétique pour alterner les registres et les couleurs.

C'est ainsi que ses Blanches ténèbres commencent de façon presque sucrée, s'amusant des codes d'une littérature pour adolescentes sentimentales, brossant le portrait d'une jeune fille timide, vierge et vertueuse à la fois, trop romantique pour ses camarades. Pourtant, il suffit d'un paragraphe ou deux pour embarquer dans un avion à destination de Buenos Aires, comme si Tintin et le capitaine Haddock prenaient l'oncle Victor et sa nièce par la main. De l'aventure pure, glacée, qui lave plus blanc que blanc (forcément) avant que, de la même manière (sans prévenir), le roman devienne une initiation à l'amour puis un conte cruel sur la manipulation.

Deux personnages sont à retenir, qui s'affrontent comme deux créatures mythologiques : l'oncle Victor et Titus Oates. Ami imaginaire, amant éperdu, le second a pour caractéristique inhabituelle d'intervenir directement dans le récit, dialoguant, respirant, vivant complètement au tempo de l'intrigue.

L'oncle Victor, quant à lui, est l'une des figures les plus noires de l'adolescence, réaliste, à la fois séducteur et malveillant, assassin et illuminé. Un adulte manipule une enfant. Maîtres de l'illusion chacun à sa façon, Titus Oates et l'oncle Victor sont les deux faces d'une même plaie caractéristique de l'adolescence, celle qui rêve et qui veut croire, celle qui se sent seule et abandonnée. Trop romantique, Sym n'a qu'à s'en prendre à elle-même - et pourtant elle en réchappera.

Si la virtuosité romanesque de Geraldine McCaughrean impressionne le critique, la fluidité de son écriture, ses beautés, frappent le lecteur. En bon acrobate de cirque, l'auteur sait donner l'impression d'une grande facilité. On glisse doucement avec les personnages d'un registre à un autre, toujours plus profondément, vers une obscurité envahissante, avant que la lumière ne revienne comme un battement de coeur. Car tout au fond des souterrains mythiques de l'oncle Victor, c'est une initiation à l'amour qu'on trouvera. Classique mais saisissant. Glaçant.

BLANCHES TÉNÈBRES (WHITE DARKNESS) de Geraldine McCaughrean. Traduit de l'anglais par Agnès Piganiol. Bayard jeunesse, "Millézime", 420 p., 12,90 €. A partir de 12 ans.

Nils C. Ahl

Article paru dans l'édition du 23.07.10

BLANCHES TENEBRES

Partager cet article