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BLOG DE L'ADOLESCENCE
11 février 2011

PHOTOS DE LARRY CLARCK

Par Valérie Duponchelle


07/10/2010 | 
Larry Clark, mardi, lors de l'accrochage de l'exposition consacrée à ses photos au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. (Crédits photo: Jean-Christophe Marmara)
Larry Clark, mardi, lors de l'accrochage de l'exposition consacrée à ses photos au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. (Crédits photo: Jean-Christophe Marmara)

Ses photos sur les dérives de l'adolescence au Musée d'art moderne de la Ville de Paris pourraient-elles tomber sous le coup de la loi? Alors que la judiciarisation gagne la vie artistique, la Mairie a décidé de limiter le risque.  

L'art est-il un continent à part, un domaine imaginaire où la liberté d'expression peut tout permettre, tout représenter, tout discuter? Le débat n'est pas nouveau, oscillant de la libéralisation à la répression selon les époques, les artistes et les supports de leurs œuvres. L'interdiction aux moins de 18 ans de l'exposition des photos de Larry Clark est une première spectaculaire dans un musée français. Et un paradoxe. Cette décision émane de la Mairie de Paris, qui a pourtant programmé cette rétrospective dans son Musée d'art moderne, selon un principe de précaution appliqué in extremis. Cette mesure scandalise les partisans d'une «exception culturelle» qui dénoncent l'application trop littérale du Code pénal à l'art, outsider anticonformiste et perturbateur, depuis Les Fleurs du mal , de Baudelaire (1857), jusqu'à La Petite, de Louis Malle (1978). Le débat sur l'art et la loi repart ainsi de plus belle, six mois après le non-lieu prononcé en appel dans l'affaire de l'exposition «Présumés innocents» au CAPC de Bordeaux.

En interdisant aux mineurs la rétrospective très crue du photographe américain consacrée aux adolescents et à leur sexualité, la Mairie de Paris crée un cas d'école juridique qui laisse perplexes juristes et commissaires d'exposition. «En anticipant une éventuelle plainte d'une association, leMusée d'art moderne de la Ville de Paris envoie un signal d'autocensure à toutes les institutions, crée une sorte d'autojurisprudence, allume un feu rouge qui chagrine le défenseur de la liberté d'expression, l'amateur d'art et le père de famille que je suis», plaide l'avocat Emmanuel Pierrat, qui a défendu les deux commissaires de l'exposition «Présumés innocents». D'autres de ses confrères, consultés confidentiellement par la Mairie de Paris, trouvent au contraire la mesure sage au vu du précédent de Bordeaux: une longue instruction de dix ans et une procédure de trois ans qui risque d'aller en cassation. La Mairie de Paris s'est mise aux abonnés absents. Seul l'artiste fulmine ouvertement «contre cette décision stupide qui est une insulte aux adolescents et à leur vie». L'art et la justice sont désormais liés pour un nouveau débat de fond sur notre société.

 

Impact visuel démultiplié

 

«De ses clichés noir et blanc du début des années 1960 aux longs-métrages qu'il réalise depuis 1995 tels que «Kids» (1995), «Bully» (2001) ou «Ken Park» (2002), Larry Clark, internationalement reconnu pour son travail, traduit sans concession la perte de repères et les dérives de l'adolescence, se contente de dire le communiqué de l'exposition en ligne sur le site de la Mairie de Paris. Des skateboarders de New York au ghetto latino de Los Angeles, Larry Clark révèle, dans ses séries photographiques des années 1990 et 2000, le quotidien d'adolescents en quête d'eux-mêmes, expérimentant drogues, sexe et armes à feu.» Adolescent contemplant son érection, adolescente offrant son sexe à deux garçons, couples, si jeunes, à l'œuvre face à l'objectif du photographe, jeu de rôle avec simulacre de pendaison d'un très jeune garçon en une série de tirages accrochée en séquence sur tout un mur… L'euphémisme du texte prépare peu le spectateur à ce qu'il va voir à partir de demain. S'il a la majorité légale, après vérification à la billetterie du musée.

Les photographies de la série «Tulsa», considérées comme des «témoignages historiques sur l'Amérique des années 1970», ont déjà été exposées dans de grands musées comme le Whitney Museum, à New York, ou la MEP, à Paris. Et dans des galeries d'art: à New York chez la toute puissante Luhring Augustine et, à Paris, chez Kamel Mennour, en 2002 et en 2007, avec les précautions d'usage (vitrines aveugles et cartels). «Et sans incidents», souligne Julie Jacob, l'avocate du galeriste parisien. La Tate Modern vient d'en inclure deux, bien plus soft, dans «Exposed. Voyeurism, Surveillance and the Camera» à l'angle plus distancié. Leur impact visuel, il est vrai, est démultiplié sur les cimaises du Musée d'art moderne de la Ville de Paris, d'où le malaise sensible à deux jours du vernissage.

Les photographies de Larry Clark témoignent de «son empathie» avec les «teenagers à la dérive», souligne Fabrice Hergott, directeur du musée et commissaire général, qui a pris la décision d'interdiction aux moins de 18 ans avec ses autorités de tutelle. Les photos sont choquantes comme la réalité qu'elles captent, soulignent les partisans de la liberté d'expression. Pour nombre de spectateurs, elles sont choquantes tout court.

«Larry Clark. Kiss the Past Hello» du 8 octobre au 2 janvier, Musée d'art moderne de la Ville de Paris.

 

 


 

 

Ce que dit la loi 

 

Deux articles du Code pénal peuvent être invoqués lorsqu'une œuvre heurte les bonnes mœurs. Leur interprétation renvoie à l'esprit des lois et les débats établissent la jurisprudence, explique l'avocat Emmanuel Pierrat.

L'article 227-24 considère comme un délit «le fait de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine (…) susceptible d'être vu ou perçu par un mineur». La peine encourue est de trois ans d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende. Cet article a remplacé en 1994 «l'outrage aux bonnes mœurs» à la terminologie jugée trop XIXe. Le mineur est ainsi protégé en tant que spectateur.

L'article 227-3 considère comme un délit «toute image pédo-pornographique» , mettant en scène des mineurs dans une attitude jugée pornographique, quel que soit le support, le lieu ou l'âge du public. Ce texte «assez flou», selon Emmanuel Pierrat, est une innovation du Code pénal en 1994 pour lutter contre la pédophilie sur Internet. Le mineur est ainsi protégé en tant qu'acteur.

 

 


 

Objets de scandale 

Du tableau Le Rapt de Christian van Couwenberg aux clichés de Zucca, certaines oeuvres ont fait l'objet de polémiques.

1999 - Holy Virgin Mary de Chris Ofili

L'exposition «Sensation» révéla la YBA (Young British Artists) Generation à Londres à la Royal Academy of Arts en 1997. Parmi ces futures stars de la scène anglaise, outre Damien HirstChris Ofili né à Manchester en 1968. Il puisa dans sa culture catholique et son héritage nigérian un art provocateur et obtint leTurner Prize en 1998. Sa Holy Virgin Mary, peau noire d'une Africaine comme une déesse pop, est entourée de bulles avec des sexes féminins découpés dans des revues exploitant la femme noire («blaxploitation»). Elle repose, comme tous ses tableaux, sur une fiente d'éléphant. Quand l'œuvre fut exposée au Musée de Brooklyn en 1999, le maire de New York, Rudolph Giuliani menaça de couper les 7 millions de dollars de subvention et ferrailla sur les libertés publiques avec Hillary Clinton (elle gagna). La toile est finalement restée, sous bonne garde après qu'un visiteur l'eut maculée de peinture blanche. Aujourd'hui, propriété du collectionneur tasmanien David Walsh, elle a été montrée au printemps à Londres, à la Tate Britain. Sans incident.

2002 - Rose Bonbon de Nicolas Jones-Gorlin

Scandale à la rentrée littéraire 2002. Nicolas Jones-Gorlin s'est glissé dans la peau d'un pédophile pour son roman Rose bonbon (Gallimard). Louis Skorecki, journaliste de Libération , met en scène un serial killer pédophile, dans Il entrerait dans la légende (Léo Scheer). L'association Promouvoir, proche de la mouvance de Bruno Maigret, porte plainte contre Louis Skorecki, défendu par l'avocat Emmanuel Pierrat. Le romancier est condamné à six mois de prison avec sursis en première instance à Carpentras, puis relaxé en appel et l'association condamnée aux frais de justice. Après les plaintes déposées par les associations L'Enfant bleu et la Fondation pour l'enfance, après une lettre recommandée du ministère de l'Intérieur invoquant l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 concernant «les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, ou de la place faite au crime ou à la violence», l'affaire Rose bonbon se solde par une absence de poursuites, les excuses publiques de l'éditeur et la mise sous blister sombre du livre, qui n'est pas interdit.

2008 - Les Parisiens pendant l'Occupation Photographies d'André Zucca

En 2008, 250 clichés des Parisiens pendant l'Occupation et à la Libération déclenchaient une polémique. En ouverture de l'exposition à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, un encart très discret rappelait pourtant que le photographe André Zucca avait «choisi un regard qui ne montre rien, ou si peu, de la réalité de l'Occupation et de ses aspects dramatiques». Cet avertissement relevait de l'euphémisme. Correspondant de guerre, présent en Carélie lors de la guerre russo-finlandaise de 1940 pour le compte de Paris MatchL'Illustration et France-Soir, André Zucca avait été «réquisitionné» par les autorités allemandes pour réaliser des clichés destinés au magazine nazi Signal. Il était le seul photographe à bénéficier ainsi de films couleurs. La Mairie de Paris a décidé, après coup, le retrait des affiches annonçant l'exposition.

2009 - Le Rapt de la négresse de Christian van Couwenberg

Au Musée des beaux-arts de Strasbourg, un cartel inhabituel met en garde le public contre le tableau Scène de mœurs , dit Le Rapt de la négresse peint par Christian van Couwenberg en 1632. Si le musée expose le petit maître de Delft, il ne cautionne pas l'interprétation d'une toile qui peut être jugée complaisante et raciste. La directrice des Musées de Strasbourg, Joëlle Pijaudier-Cabot, met pareillement en garde le public familial du Musée Tomi Ungerer contre ses contes de Grimm revus sur un mode érotique et sa série de dessins sadomaso très explicites. Si les enfants rentrent dans ces pièces isolées, prévient-elle, c'est sous la responsabilité de leurs parents.

Deux ouvrages d'Emmanuel Pierrat: Le Sexe et la loi (La Musardine), Le Livre noir de la censure (Seuil).

 

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