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BLOG DE L'ADOLESCENCE
7 décembre 2009

BRIDGE

Ils ont entre 20 et 25 ans et représentent la nouvelle vitrine d'un jeu intelligent, victime de lourds préjugés. Avec eux, la relève du bridge est arrivée.

Intellectuel, bourgeois, élitiste, plan-plan... Le bridge est loin de renvoyer l'image strass et paillettes du poker. Pour les profanes, il est synonyme de complexité et d'ennui. Mais ceux qui le pratiquent - deux millions de nos compatriotes - n'échangeraient pas leur main pour une quinte flush, ni les enchères pour le pot. La France est une nation de mordus et se place au deuxième rang mondial en terme de licenciés, après les Etats-Unis.

Certes, qui pense bridge voit des alignements de tapis verts et de visages qui le sont moins. Certes, les retraités en quête d'une nouvelle vie relationnelle sont friands de ce que Vincent Combeau, professeur, qualifie de matière, bien plus que de jeu. «Une discipline qui perd sa notion de hasard au profit de la logique et qui n'est élitiste que par sa complexité, car socialement elle est bonne pour tout le monde, demande de la logique et du bon sens, qualités que nous partageons tous.» Des qualités présentes également dans les jeunes cerveaux de nos ados, de plus en plus nombreux à s'y piquer avec cœur, grâce à l'introduction d'ateliers en milieu scolaire, une des priorités de la Fédération française de bridge (FFB). Et ne sont pas seulement concernées les écoles chics de l'Hexagone mais aussi les zones les plus sinistrées. Ainsi en est-il de Denain, ville sidérurgique du Nord, touchée de plein fouet par la fermeture des mines et des hauts-fourneaux. Le chômage y bat des records, l'avenir y semble aussi peu engageant que son ciel d'hiver, mais un petit rayon de soleil y a fait son entrée depuis que Joséphine Flavigny, vice-présidente du comité régional de bridge des Flandres, a initié des ateliers découverte de ce jeu dans les écoles comme dans les colonies de vacances. Contre toute attente, des jeunes ont trouvé dans la pratique du bridge à la fois une échappatoire, un moyen de se mesurer aux autres et de découvrir l'autre. Ainsi des enfants différents et indif férents dans la cour de l'école forment-ils des paires inédites à la table.

Un atout pour les performances scolaires

«Ce qui m'intéresse le plus, ce sont les gamins à la dérive, raconte Joséphine,des gosses qui retrouvent une fierté, celle de réussir quelque chose. C'est particulièrement gratifiant de les voir prendre confiance en eux, et pas seulement autour du tapis. Certains ont connu de vrais déclics scolaires, notamment en mathématiques.» Et Joséphine a connu le bonheur de voir certains de ses protégés intégrer les équipes de France juniors.

C'est précisément dans son collège du Havre qu'Alexandre Kilani a lancé ses premières enchères. Aujourd'hui, il est rien moins que champion du monde des juniors, un titre conquis à Pékin l'an passé et un argument choc pour attirer les 200 lycéens et collégiens qui sui vent ses cours chaque semaine.«Il est vrai que cela excite leur curiosité. Après, c'est à moi de la conserver en rendant l'enseignement sympa. J'ai dû moi-même m'accrocher lors de mon apprentissage tant les leçons de ma prof étaient mortellement barbantes. Les techniques de découverte se modifient, la pédagogie se fait ludique, c'est une bonne chose, et il faut continuer à travailler dans ce sens si nous voulons rajeunir l'âge moyen des pratiquants.»

Alba Capelli-Gublin, depuis peu directrice générale de la FFB, a eu l'occasion de voir Alexandre à l'œuvre. «Il désacralise le jeu, lecompare même à la bataille, le rend abordable aux enfants, amusant, rapide. C'est dans cette direction que nous devons aller pour augmenter le nombre de nos licenciés, et pas seulement les jeunes. Nous lançons d'ailleurs un programme d'initiation accélérée afin qu'on puisse commencer à s'amuser au bout de quinze séances seulement.»

Car le frein principal au bridge, c'est la complexité de ses règles, le travail qu'il nécessite et qui peut être rebutant, surtout dans l'impatience de la jeunesse. Jessie Carbonneaux, étudiante en droit et vice-championne d'Europe des filles de moins de 26 ans, a dû parfois se faire violence pour lui rester fidèle :«Adolescente, j'ai failli tout arrêter, lassée du regard des autres, de cette image d'intello que je traînais. J'avais tout simplement envie de sortir le nez des bouquins de bridge pour m'amuser, comme on s'amuse à cet âge, dans l'urgence et la facilité. Mais, paradoxalement, ce jeu a aussi permis de poser l'hyper-active que je suis. Désormais, je suis capable de rester concentrée de longues heures.»

Les souvenirs de ces jeunes joueurs les ramènent tous à de grands moments de solitude et d'ennui. D'où leur volonté de faire bouger les lignes.

«L'an passé, sur 120 élèves, j'ai pu en conserver la moitié, ce qui est énorme, croyez-moi», se réjouit Alexandre. L'an passé, justement, Alexandre donnait ses premières leçons en milieu scolaire, dans deux collèges, deux mondes parallèles. Le premier est situé dans les beaux quartiers du Havre, le second en zone difficile. «Une expérience extra ordinaire! Des gamins différents, les premiers très policés, les seconds, plus bruts de décoffrage, mais dans les deux cas, une bouffée d'oxygène, innocente, directe; une respiration, lorsque, comme moi, on est plutôt habitué à l'esprit extrêmement compétitif du haut niveau.»

«Le bridgeur est un grand égocentrique»

Car dans le haut niveau, l'ambiance n'est pas à la plaisanterie, et l'on se prépare à toute rencontre comme un crack. «C'est un sport comme les autres, même si ce qu'il muscle, c'est le cerveau», insiste Thomas Bessis, champion d'Europe des moins de 26 ans. Thomas possède un pedigree de rêve : des parents et un oncle surtitrés, un frère et une tante grands joueurs... Il est lui-même coach de sa propre mère, membre de l'équipe féminine française. Tout comme son meilleur ami, coéquipier et colocataire, Frédéric Volker, en est le capitaine - sa mère aussi est membre de l'équipe de France. Pour Thomas, un championnat, c'est une course d'endurance. «Pour le titre européen en Roumanie, nous avons joué huit heures par jour pendant deux semaines, un rythme qu'il faut pouvoir tenir!» Jessie Carbonneaux se souvient aussi : «C'est très crevant, ça demande une condition et une préparation de cador. Tout notre temps libre y passe.»

Si, pour la plupart, ces jeunes gens n'imaginent pas leur vie professionnelle loin du bridge, l'argent n'est pas le moteur de leur passion. On peut en vivre correctement, sans plus. D'une façon générale, le bridge n'est pas un jeu au gain sonnant et trébuchant comme le poker. Tous sont unanimes, ce n'est pas ce qui compte. «Le jeu se suffit à lui-même. Faire un joli coup, être en osmose avec l'autre, c'est ce qui compte», d'après Vincent Combeau. Pour Joséphine, c'est l'absence de vénalité qui fait la beauté de cette pratique. «A cet égard, les enfants font preuve de beaucoup plus de maturité que les adultes. A 10 ans, on ne tombe pas dans la passion du jeu comme à l'adolescence. Et je constate chaque jour les ravages que fait le poker parmi les jeunes accros.» Pour nos champions en herbe, la volonté de vivre du bridge est là, mais ils savent bien qu'il ne fera pas leur fortune. Ecrire des livres - la bibliographie est très vaste en la matière -, des articles pour des revues spécialisées, enseigner et concourir sponsorisés - la Société Générale, notamment, est l'un des grands soutiens -, voilà tout ce qu'ils pourront attendre de leur passion. Ça, et des émotions, doublées d'une grande fierté, qu'à les entendre seul le bridge procure. «Vous savez, le bridgeur est un grand égocentrique. C'est un génie qui joue avec un abruti, contre deux tricheurs», s'amuse Vincent Combeau. Et une personne charmante dans le privé peut se révéler un joueur redoutable, sinon insupportable. Ce qui ne constitue pas un frein aux liens étroitement tissés autour d'une table, car l'expérience humaine est aussi riche que le nombre de combinaisons d'une partie. Ces jeunes se sont forgé des amitiés fortes dans le milieu, quasi fraternelles, parfois invraisemblables dans la vraie vie. Ici, point de conflits de générations, peu importe l'âge tant qu'existe le brio. «On a le contact très facile avec les personnes âgées. Les jeunes joueurs acquièrent très vite cette maturité, et fréquenter les autres générations est parfaitement naturel», insiste Alexandre. Cet aspect de la discipline est déjà une prouesse en soi, dans une société où le jeunisme fait loi tandis que vieillir est honteux. Rien que pour cela, le bridge est moderne, à l'avant-garde pourrait-on dire, bref, tout sauf vieux jeu.

 

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