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BLOG DE L'ADOLESCENCE
14 septembre 2009

SMS ET ADOS EN COURS

U

e poche qui vibre, l'autre qui sonne. Paul, 15 ans, est toujours entre deux appels, deux SMS. Ses deux téléphones portables en permanence en réception. Depuis trois ans, il vit connecté. Mais sa vie va changer. Là. Aujourd'hui ou demain. Il s'est promis de s'offrir une conduite ; juré que sa vie de lycéen ne ressemblerait pas à ses années collège et ne serait pas rythmée par les confiscations.

Depuis qu'il a eu son premier portable, il y a trois ans, Paul en est à trente ou quarante confiscations. A vrai dire, il ne sait plus trop. Sa fierté, c'est qu'au moins quinze fois, ses mobiles ont échappé aux tiroirs scellés du bureau de la principale. Ceux d'où ils ne ressortent qu'entre les mains des parents. Quatre fois pourtant, un de ses téléphones s'est retrouvé chez Marie-Eve Langlois, la principale du collège George-Sand, dans le 13e arrondissement de Paris. "Une fois, j'ai réussi à enlever la puce avant qu'il soit ramassé. Une autre fois j'ai négocié pour le donner le lendemain et j'ai passé un appareil cassé. L'ennui, c'est qu'il a quand même fallu que j'aille avec ma mère les récupérer", raconte le jeune homme, un oeil sur le numéro de l'appelant du moment. Dans son collège, Paul est une figure. Sympathique, certes, mais réfractaire au règlement. Surtout en matière de téléphonie. Une incarnation vivante du phénomène contre lequel la principale lutte pied à pied.

Mme Langlois tient son petit collège de 500 élèves en rêvant d'un établissement sans téléphones. Dans son règlement intérieur, on lit que les "téléphones mobiles ne doivent en aucun cas être utilisés dans l'enceinte des locaux. Ils doivent être débranchés en salles et rangés dans les cartables". Evidemment, ça dérape souvent. Des dizaines transitent chaque année par le bureau de Mme Langlois, qui déroge à la loi en confisquant ces biens personnels. Elle n'en aurait le droit que s'ils étaient jugés dangereux.

En fait, elle n'est pas loin de penser qu'ils le sont. "Pour comprendre, pour intégrer un cours, il faut avoir l'esprit disponible. Croyez-vous que c'est le cas d'un adolescent qui attend un Texto ?", interroge-t-elle. Armelle Nouis, proviseure dans un lycée voisin, a constaté que "les adolescents changent, et cet objet n'est peut-être pas étranger au fait qu'ils se structurent autrement, eux qui n'ont l'impression de vivre que s'ils sont en lien avec leurs pairs".

Ophélie Samouillet, 28 ans, enseigne la physique-chimie à George-Sand et ne mâche pas ses mots. "Les téléphones me sortent par les yeux. Quand je les vois envoyer un SMS pendant mon cours, c'est comme s'ils lisaient un magazine. Irrespectueux au possible. Ces téléphones sont les pires ennemis du prof", fulmine celle qui se dit pourtant accro à son portable, hors collège bien sûr. Il y a deux ans, avant la Toussaint, elle aperçoit un élève taper un SMS, le téléphone sous le bureau. "Il refuse de me le donner. Je le menace de faire un rapport. Même obstination. Face à son refus, le ton est monté et j'étais coincée. Obligée d'obtenir gain de cause, sinon je perdais la face. Après, je n'ai jamais retrouvé une bonne ambiance de travail dans cette classe", regrette la jeune femme. Depuis, Ophélie a trouvé un modus vivendi en demandant aux incorrigibles d'aligner sur son bureau les portables, qu'elle rend à la fin du cours.

"Ils peuvent s'en passer une heure, mais à partir de plusieurs jours, c'est l'angoisse", rappelle la principale. En rythme de croisière, certains professeurs en ramassent un par semaine. Florence Maurel, elle, confisque moins. Sur l'échelle de la tolérance à l'objet, elle serait un cran plus haut que nombre de ses collègues. Professeur d'histoire-géographie, elle en envoie moins vers le purgatoire du tiroir, mais se souvient aussi de jolis alignements sur son bureau. "L'an dernier, je tendais la main sans rien dire à l'entrée des cours et en récupérais quelques-uns. Notamment ceux d'un groupe de filles en échec scolaire qui ne voulaient pas être prises en défaut, mais s'avouaient incapables de gérer."

Le téléphone n'est pas un objet comme les autres. C'est identitaire, d'abord. Le symbole du passage de la petite enfance du primaire au collège. C'est le prolongement des adolescents, explique Edith Tatar-Goddet, psycho-sociologue. Un doudou pour "petits-grands" puisque cet objet est vécu par les parents comme le moyen de garder un lien, par les jeunes comme celui d'être plus autonomes. Qui croire ? "Cet objet d'autonomie est aussi une entrave à la construction de soi, puisqu'avec lui le lien à la famille n'est jamais coupé. Or un jeune adulte se construit dans la coupure, l'absence", ajoute la spécialiste.

Pour elle, l'usage permanent du téléphone conforte les adolescents dans un mode de fonctionnement pulsionnel. Les plus accros, c'est-à-dire les plus fragiles, restent dans l'instant, n'expérimentent pas la frustration. "L'immédiateté les empêche de s'inscrire dans le temps. D'être capables de différer." Une expérience pourtant indispensable, regrette Mme Tatar-Goddet.

Tous les élèves de George-Sand n'ont pas deux portables comme Paul, mais tous ou presque en ont un dès la classe de 6e. Factices, parfois sans forfait, voire sans carte, l'objet est quand même là, au creux de la poche. Aux yeux des enseignants, il détricote le soir le travail d'éducation construit la journée. Il est l'ennemi du prof et de la vie de l'établissement. "Il nous oblige à outrepasser sans cesse nos prérogatives", regrette Armelle Nouis. "Si seulement on nous couvrait lorsqu'on les confisque !", regrette celle qui en comptait quatre dans son tiroir lors de notre rencontre.

Le conseiller d'éducation du collège George-Sand a évidemment intercepté des enregistrements de scènes violentes, mais il a aussi dû enquêter sur le cas d'une collégienne qui recevait des menaces par SMS, pour comprendre, enfin, qu'elle se les envoyait elle-même. C'est que le téléphone est aussi un reflet du mal-être de ces âges-là. Les mobiles de Paul enregistrent, eux, sa difficulté à trouver des limites. "Mes parents me paient un abonnement à 20 euros. Alors je fais du baby-sitting une fois par semaine et, avec l'argent, j'achète des cartes Texto à 5 euros qui me permettent d'envoyer un nombre illimité de SMS pendant cinq jours et cinq nuits", raconte-t-il.

Un achat que l'adolescent rentabilise assez bien avec un envoi moyen de 1 000 Texto en cinq jours. Soit 200 par jour...

Maryline Baumard

 

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