DOPAGE CHEZ LES ADOS
JEAN-MARC PHILIBERT
SUR LA PISTE du stade Robert-Brettes à Mérignac, dans la banlieue de
Bordeaux, les adolescents reprennent tout juste leur souffle. La
dernière épreuve des championnats du monde scolaire d'athlétisme vient
de s'achever ce lundi, et les 600 jeunes de 15 à 17 ans venus de 26
pays ont déjà la tête à la fête qui sera organisée le soir même.
Prestement, chacun ramasse son sac de sport avant de se diriger vers
les vestiaires, sans un regard pour le local réservé aux contrôles
antidopage. Mis à la disposition des autorités sanitaires, il est resté
vide pendant les deux jours de la compétition sportive.
À l'instar des jeunes athlètes, médecins, kinés et encadrement sportif
n'aiment pas parler de dopage. Encore moins lorsqu'il concerne les
mineurs. Devant l'entrée des tribunes, les quelques panneaux
d'information réalisés par des collégiens d'Agen sous le contrôle de
leur professeur d'éducation physique, Christine Pezet-Gonnet, une
ancienne sportive, n'attirent pas les foules.
Il faut dire qu'ici personne n'a pris connaissance de l'enquête choc
publiée la semaine dernière par le docteur Patrick Laure, un
spécialiste des conduites dopantes chez les adolescents, professeur à
l'université Paris-Orsay. Son étude, réalisée pendant quatre ans auprès
de 3 560 collégiens vosgiens de 11 ans, révèle que 1,2 % de ces enfants
ont utilisé des substances ou médicaments interdits par l'Agence
mondiale antidopage lors de compétitions sportives. Un chiffre qui
grimpe à 3 % à la fin de la période d'observation, alors que les
enfants sont devenus des adolescents de 15 ans. Cela fait d'autant plus
froid dans le dos qu'on croyait ces pratiques réservées aux seuls
sportifs de haut niveau.
Qui sont ces enfants ? Quels produits prennent-ils et pourquoi ?
Comment se les procurent-ils et quels sont les dangers auxquels ils
s'exposent ? Les réponses existent mais elles sont multiples. « C'est un phénomène complexe et multifactoriel »,
confirme Fabrice Lorente, vice-président de l'université de Perpignan,
qui a lancé une vaste étude sur le sujet en Région Paca. Selon ses
résultats, 6 % des garçons de 14 à 18 ans disent avoir déjà pris de la
créatine, un produit censé favoriser la musculature et que l'on trouve
en pharmacie. « La performance en tant que telle a une importance,
mais on s'aperçoit que les ados cherchent aussi à changer leur
apparence, notamment avec les stéroïdes anabolisants qui augmentent
justement la masse musculaire. »
« Gamins en mal-être »
Des enfants ou des adolescents mal dans leur peau, c'est également le
constat de Patrick Laure, auteur de nombreuses études sur le sujet pour
la direction régionale de la jeunesse et des sports de Lorraine. « Ce
sont souvent des gamins en mal-être qui vont adopter un certain nombre
de conduites à risque, simplement pour exister. Ils vont prendre un
produit dopant, mais ils vont aussi ne pas mettre de casque sur leur
scooter. Ils vont jouer avec leur santé en consommant ainsi tout un tas
de produits. »
Adolescents en rupture, ces jeunes, du coup, sont aussi ceux qui ont déjà essayé le tabac, l'alcool ou le cannabis. « Ils
sont polyconsommateurs. Leur consommation de produits dopants commence
d'ailleurs par d'autres substances, comme l'alcool, largement répandu
durant les troisièmes mi-temps », explique Marie Choquet, directrice de recherche à l'Inserm.
Mais, pour cette spécialiste de la santé des jeunes, ces ados sont aussi plus violents que les autres. « Les
deux phénomènes sont liés. Ils sont en même temps dans la consommation
de produits illicites et adoptent des comportements illicites. »
Stéroïdes, EPO ou hormones de croissance sont quasiment en vente libre sur Internet. « Ils
proviennent surtout des pays de l'Est. Mais comme les jeunes ne sont
pas sûrs de leur composition, ils achètent surtout auprès de leur
entourage », explique le docteur Jean Bilard qui dirige le numéro
vert Écoute Dopage. Cercle familial, mais aussi coéquipiers, entraîneur
ou médecin du sport sont ainsi les principaux fournisseurs de ces
produits. Pas étonnant, dans ces conditions, que l'omerta soit si dure
à briser dans le milieu.