FACE AUX ECRANS...

Les enfants, maîtres
des écrans

Cécilia Gabizon
19/12/2008 |
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Le «multi-tasking», qui consiste à suivre plusieurs médias en même temps (internet et télévision, téléphone mobile et jeu vidéo) ne serait pas qu'une dispersion juvénile, mais bien une nouvelle culture.

Crédits photo : Le Figaro

Les 8-12 ans passent près de 40 % de leur temps de loisir devant un écran. Deux tiers utilisent en même temps plusieurs médias.

«Mon fils révise tout en envoyant des SMS, avec la télé branchée et l'ordinateur allumé. Et pourtant, il a de bonnes notes !, s'énerve presque Didier, universitaire. Je ne vois pas comment il peut se concentrer.» Les parents, à l'heure d'acheter les cadeaux de Noël, peinent à comprendre cette frénésie technologique qui saisit les enfants de plus en plus jeunes.

Les 8-12 ans passent près de 40 % de leur temps de loisir quotidien devant un écran, qu'il soit de télé, d'ordinateur, de jeu vidéo ou de téléphone portable. Les deux tiers pratiquent au moins deux médias simultanément, selon les derniers chiffres d'une enquête conduite par Semo pour Lagardère Active, en novembre dernier. Les Américains connaissent ce phénomène depuis des années, sous le nom de «multi-tasking». Performance informatique à l'origine, qui permettait d'ouvrir plusieurs programmes de concert, cette superposition d'activités s'est introduite dans les foyers, jusqu'à transformer le mode de vie des nouvelles générations. Aux États-Unis, la Kaiser Family Fondation et l'université de Stanford ont calculé que les enfants et adolescents passent 6 h 30 devant leurs écrans et, aberration apparente, consacrent au cours de ce laps de temps 8 h 30 aux médias ! Ces jeunes consomment en effet souvent deux médias à la fois, un œil sur leur téléviseur et l'autre sur Internet.

L'école leur paraît fade

La tendance a gagné la France, avec la multiplication des écrans dans les foyers. Le téléphone portable est dans les poches dès 10 ans. Les jeux vidéo séduisent les préadolescents. Et les parents s'inquiètent du phénomène d'addiction. En comparaison, la télé posée dans le salon, avec son canapé prêt à mélanger les générations, rassure. L'Internet est plus ambigu. «Les parents redoutent que leurs enfants ratent la révolution numérique, mais trouvent cette Toile pleine de dangers», résume Tiphaine de Raguenel de l'observatoire Gulli.

Les familles cherchent à contrôler cette boulimie sans saisir qu'une «révolution est en marche», selon le sociologue Stéphane Hugon, responsable du Groupe de recherche sur les technologies et le quotidien (Gretech). Car le multi-tasking n'est pas qu'une dispersion juvénile. Mais bien une nouvelle culture. Et de prédire la fin du modèle exaltant l'effort, la projection dans le temps, la carrière. Au futur désenchanté, répond le présent palpitant. On superpose les activités, les identités : adolescente délurée sur la messagerie instantanée, sage élève de cinquième devant ses cahiers, gentille sœur devant la télé. On mise sur une suite de petits moments forts. «La communication est forte et l'information faible. Les jeunes ne cherchent pas du contenu mais de la continuité, du lien.» C'est pourquoi la télé reste allumée, parfois avec le son coupé, comme une fenêtre éclairée. Cette effervescence leur est non seulement familière, mais souvent nécessaire.

L'école, avec sa transmission verticale et centrée sur un sujet leur paraît fade, parfois angoissante. Les chercheurs de l'Éducation nationale anticipent d'ailleurs une mutation de l'enseignement, qui, avec ses photocopies en noir et blanc, s'avère chaque jour plus déphasé du monde des adolescents. «Le monde non numérique leur paraît archaïque, comme si on les obligeait à vivre au XIXe siècle», explique Michaël Valmore Dandrieu, du cabinet Eranos. Les jeunes ados ne font pas la différence entre les écrans, simples interfaces à leurs yeux. Ils joueraient volontiers sur la télé ou navigueraient sur l'Internet depuis leur portable. Ce sont les constructeurs qui séparent ces univers dans un but commercial. Eux vivent tous les objets technologiques comme des cordons avec le »grand réseau matriciel, des doudous», résume Stéphane Hugon. Ils ont banni la solitude. Sauf celle des parents, tenus à la porte de ce nouveau monde.