PACTE SUICIDAIRE
AGNÈS LECLAIR - LE FIGARO - 14/10/2007
La tentative de suicide de deux collégiennes, à Ajaccio, relance le débat sur la nécessité d'organiser une veille plus efficace des journaux en ligne.
LES POLICIERS de la brigade
criminelle d'Ajaccio analysent actuellement les blogs des deux
collégiennes qui ont fait une tentative de suicide concertée il y a
tout juste une semaine. Ils espèrent ainsi éclairer le geste de
désespoir des adolescentes qui exprimaient leurs états d'âme dans ces « journaux intimes » sur Internet.
Ce drame relance la question de la surveillance du contenu des blogs.
Les psychologues s'accordent à dire qu'il n'existe pas de lien direct
entre les suicides d'adolescents et ces journaux en ligne, qui ne
seraient que l'expression d'un malaise existant. Mais de nombreux
parents manifestent une vive inquiétude face à ce nouveau média qu'ils
maîtrisent mal, et craignent les défis morbides qui circulent sur la
Toile.
Il paraît cependant difficile de surveiller une plateforme comme
Skyblog, premier hébergeur de blogs en France, qui affiche 8 990 259
journaux en ligne en activité. Le site d'hébergement, créé par la radio
Skyrock, connaît un immense succès auprès des adolescents, qui y
ouvrent quotidiennement entre 15 000 et 20 000 blogs !
À l'heure actuelle, une équipe d'une trentaine de personnes est chargée
de surveiller ces blogs, indique Skyblog. Ces modérateurs traitent
notamment les signalements des internautes, invités à cliquer sur
l'icône « cybercop » quand ils détectent des propos ou images ne
respectant pas la charte de bonne conduite. L'équipe doit également
valider un million d'images par jour. Elle en retire en moyenne 32 000.
Enfin, elle désactive les articles et commentaires jugés tendancieux si
l'auteur du blog ne le fait pas lui-même. « Une infime minorité de Skyblogs posent problème », affirme-t-on chez l'hébergeur.
Depuis 2005, Pierre Bellanger, le président de Skyrock et de Skyblog,
juge cependant ces mesures incomplètes. Il n'a donc pas attendu cette
double tentative de suicide pour réagir et faire appel à des
spécialistes de l'adolescence.
Il faut dire que le drame de la semaine dernière a un air de déjà-vu.
En janvier 2005, Clémence et Noémie, deux adolescentes de 14 et 15 ans
vivant dans le Pas-de-Calais, se sont donné la mort en se jetant du
haut d'une falaise. Tout comme les deux collégiennes d'Ajaccio, elles
utilisaient un Skyblog pour livrer leurs angoisses. Clémence y avait
même annoncé son désir d'en finir. Pierre Bellanger avait alors fait
appel aux services de La Note Bleue, une association d'aide aux jeunes
chargée d'établir le contact avec les auteurs de blogs inquiétants.
Analyse psychopathologique
Mais cette collaboration n'a pas semblé satisfaisante au patron de
Skyblog, qui a récemment fait appel à un psychologue clinicien, Michaël
Stora. Pour ce spécialiste du virtuel, les blogs sont une forme
d'exhibitionnisme sain : « Il
vaut mieux que les adolescents ne gardent pas pour eux leurs angoisses
face à deux grands thèmes tabous, le sexe et la mort. »
Évoquer le suicide dans un blog ne mène pas forcément à un passage à
l'acte, mais cet appel au secours doit toujours être entendu,
insiste-t-il. Sa mission consistera à repérer les signes de désespoir à
prendre au sérieux sur ces blogs, en analysant textes et photos d'un
point de vue psychopathologique. Et former les équipes d'une
association, Fil santé jeunes, qui contactera par mail les adolescents
qui laissent filtrer leur détresse sur leurs blogs.